La planification successorale en présence d’un enfant handicapé suppose une analyse sur mesure compte-tenu de trois problématiques principales qui seront abordées succinctement :
- La gestion du patrimoine de l’enfant ;
- La transmission du patrimoine de l’enfant (constitué la plupart du temps de biens reçus des parents) ;
- L’influence du patrimoine de l’enfant sur les aides octroyées par les pouvoirs publics.
La gestion et la jouissance du patrimoine de l’enfant
L’enfant mineur
Lorsque l’enfant est mineur, l’administration de ses biens est assurée par ses représentants légaux, à savoir ses parents.
Tout enfant mineur est ainsi soumis à l’autorité parentale dont la gestion et la jouissance du patrimoine de l’enfant sont deux composantes.
Gestion parentale
La gestion parentale revient aux parents. S’il n’y a plus qu’un seul parent en vie, celui-ci exerce seul tous les pouvoirs. Si les deux parents sont encore en vie, qu’ils vivent ensemble ou non, ils exercent généralement ensemble la gestion. Chaque parent peut poser seul des actes de conservation (relatifs au maintien du patrimoine). En revanche, pour les actes de disposition (qui supposent une modification du patrimoine), une autorisation du juge de paix est requise dans tous les cas.
Jouissance parentale
Les parents qui gèrent les biens de leurs enfants en ont généralement aussi la jouissance : ils touchent les revenus locatifs ou encore les intérêts sur les comptes bancaires. Les revenus de ces biens doivent leur servir avant tout à assumer leur devoir d’entretien vis-à-vis de l’enfant.
Décès d’un parent séparé avec enfant mineur
Dans l’hypothèse où les parents sont séparés, et que l’un d’eux décède, le survivant est habilité à vivre dans la maison dont l’enfant mineur a hérité du parent prédécédé, ou toucher les revenus du portefeuille de placements, etc. Dans cette situation, l’ex-conjoint conserve une très grande influence sur les biens du parent prédécédé et ce, jusqu’à la majorité de l’enfant.
Priver le parent survivant de la gestion parentale ?
La gestion des biens du mineur relève de l’ordre public, ce qui signifie qu’il n’est pas possible d’attribuer la gestion des biens qui reviendront à l’enfant mineur à une tierce personne, par exemple par testament.
Priver le parent survivant de la jouissance parentale ?
Cette possibilité est expressément prévue par le Code civil qui autorise un parent à léguer ou donner des biens à son enfant, sous la condition expresse que l’autre n’en jouira pas. Concrètement cela signifie qu’il est par exemple possible de priver par testament l’autre parent de la jouissance parentale du patrimoine transmis à l’enfant.
La tutelle
Il est possible de prévoir pour l’hypothèse où les deux parents décèdent, par déclaration devant le juge de paix ou devant notaire et à condition d’agir conjointement, la désignation d’un tuteur.
A défaut, celui des père et mère qui exerce en dernier lieu l’autorité parentale peut désigner un tuteur, soit par testament, soit par déclaration devant le juge de paix ou devant notaire.
A défaut de telles dispositions, la gestion des biens de l’enfant mineur est assurée en cas de décès des deux parents par le tuteur désigné d’office par le juge de paix, de préférence parmi les membres de la famille les plus proches.
L’enfant majeur
Lorsque l’enfant arrive à la majorité, il peut parfois être préférable d’anticiper son placement sous protection judiciaire.
A quel moment ?
A partir de ses dix-sept ans accomplis, il est possible de faire une demande de placement sous protection dans la mesure où il est établi que l’enfant sera hors d’état de s’assumer lui-même à sa majorité. La protection entrera alors en vigueur lorsqu’il sera majeur.
Qui ?
La loi prévoit que le juge de paix désigne par préférence, comme administrateur des biens et de la personne, les parents ou l’un des deux parents, le conjoint ou cohabitant légal, un membre de la famille proche ou une personne qui se charge des soins quotidiens de la personne à protéger ou une fondation privée, en tenant compte de l’opinion de l’enfant ainsi que de sa situation personnelle, ses conditions de vie et sa situation familiale.
Quels actes sont concernés ?
Le juge a l’obligation de définir, pour une série d’actes prédéfinis dans le Code civil, si la personne à protéger a la capacité ou non de les exercer elle-même. Le juge se prononce également sur le type de protection : à défaut d’indications contraires, la personne protégée est présumée sous régime d’assistance (l’enfant peut accomplir l’acte lui-même, mais l’administrateur doit intervenir pour « valider » l’acte posé par exemple au moyen d’une signature). Le juge ne prononce une mesure de représentation (l’enfant ne peut pas accomplir elle-même l’acte, elle doit être représentée par son administrateur qui agit à sa place) que dans l’hypothèse où l’assistance ne parait pas suffisante.
Toutefois, le Code civil prévoit que le Roi doit établir une liste d’états de santé susceptibles de concerner les personnes handicapées pour lesquels le régime de représentation s’imposera pour l’ensemble des actes. Cet arrêté royal n’a pas été publié à ce jour.
L’administrateur désigné par le juge voit son pouvoir limité quant à la gestion du patrimoine de l’enfant par rapport à deux actes qui lui sont interdits : la donation entre vifs (à l’exception de cadeaux d’usage) et l’établissement ou la révocation de dispositions testamentaires.
Cette circonstance emporte la problématique suivante : le patrimoine transmis reviendra en principe à son décès aux personnes désignées conformément aux règles de la dévolution légale. Il existe cependant certaines techniques de transmission du patrimoine qui permettent d’éviter cet écueil dont certaines seront présentées au point 2 ci-dessous.
Les pouvoirs de l’administrateur et la gestion
a) Les revenus
La loi prévoit que l’administrateur emploie les revenus de la personne protégée aux fins de subvenir à ses charges et de « veiller à son bien-être » et met à la disposition de la personne protégée les sommes qui lui sont personnellement nécessaires.
b) Les placements
Le juge de paix est tenu de fixer dans son ordonnance « le montant des sommes d’argent placées sur un compte de la personne protégée qui peut, au cours de la période qu’il détermine, être retiré ou transféré par l’administrateur sans autorisation préalable ».
Le juge de paix peut par ailleurs décider de confier à une institution financière, plutôt qu’à l’administrateur, une mission de gestion des fonds, titres et valeurs mobilières de la personne protégée et déterminer les conditions de cette gestion.
c) Les actes impliquant une autorisation spéciale du juge de paix
La loi prévoit que l’administrateur sera expressément tenu de solliciter une autorisation spéciale du juge de paix avant de pouvoir accomplir un certain nombre d’actes au nom et pour le compte de la personne protégée. Le législateur a regroupé ces actes dans une double liste.
Les actes qui concernent la personne à protéger sont les suivants :
- le changement de résidence ;
- l’exercice des droits prévus par la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient ;
- la représentation de la personne protégée en justice.
Les actes concernant les biens sont entre autres les suivants :
- Aliéner les biens de la personne protégée ;
- emprunter ;
- hypothéquer ou donner en gage les biens de la personne protégée ou autoriser la radiation d’une inscription hypothécaire, avec ou sans quittance, et d’une transcription d’une ordonnance de saisie-exécution sans paiement et de la dispense d’inscription d’office ;
- conclure un bail à ferme, un bail commercial ou un bail à loyer de plus de neuf ans, ainsi que pour renouveler un bail commercial ;
- renoncer à une succession ou à un legs universel ou à titre universel ou l’accepter, ce qui ne pourra se faire que sous bénéfice d’inventaire. Le juge de paix peut, par une ordonnance motivée, octroyer l’autorisation d’accepter une succession, un legs universel ou à titre universel purement et simplement, compte tenu de la nature et de la consistance du patrimoine hérité et pour autant que les bénéfices soient manifestement supérieurs aux charges du patrimoine hérité ;
- accepter une donation ou un legs à titre particulier;
- acheter un bien immeuble;
- acquiescer à une demande relative à des droits immobiliers.
La transmission du patrimoine de l’enfant lui-même
Comme déjà évoqué, l’enfant n’aura en principe pas la possibilité de faire de testament ou de consentir des donations, même par l’intermédiaire de son administrateur.
Cependant, une marge de manœuvre reste possible concernant le patrimoine que les parents transmettent eux-mêmes à l’enfant au moyen de différentes techniques qui seront brièvement présentées.
Le fidéicommis de residuo
Cette technique a lieu généralement par voie testamentaire et consiste à léguer l’ensemble ou une partie de son patrimoine à l’enfant, en déterminant par ailleurs un bénéficiaire en second rang à qui reviendra le solde du patrimoine à son décès. Ainsi, au premier décès les biens légués reviendront à l’enfant et après le décès de celui-ci, ce qui reste de ces biens revient au bénéficiaire en second rang.
Il est ainsi possible de désigner à l’avance un second bénéficiaire et garder ainsi le contrôle sur la transmission du patrimoine du parent.
En fonction de chaque situation, les clauses testamentaires doivent être toutefois adaptées de façon précise afin d’organiser la double transmission de la façon la plus optimale possible.
La société civile
La société de droit commun est un outil de transmission du patrimoine. Généralement il s’agit de réaliser une donation du patrimoine mobilier vers l’enfant qui apporte le patrimoine reçu dans la société. Cette donation peut être assortie des clauses habituelles telles que le droit de retour conventionnel, un droit d’usufruit, etc. Si l’enfant handicapé est mineur au moment de la donation, l’acceptation de celle-ci ne pose aucune difficulté ; elle peut être acceptée par un parent. A défaut, elle peut être acceptée par un grand-parent ou par un tuteur ad hoc désigné par le juge de paix.
Lors de la donation, l’opération devra cependant préférablement être effectuée dans l’ordre suivant : d’abord l’apport dans une société de droit commun et, ensuite, la donation à l’enfant. En effet, l’autorisation du juge de paix serait requise pour l’apport des biens mobiliers postérieur à la donation par l’enfant lui-même (il s’agit en effet d’un acte de disposition du point de vue de l’enfant mineur, et d’un acte d’aliénation du point de vue de l’enfant majeur). Si la donation est effectuée avant l’apport en société, il existe un risque que le juge de paix refuse l’autorisation pour l’apport.
Dans les statuts de la société civile, il est généralement prévu que:
- Le parent est gérant statutaire ;
- Le mandat ne peut être révoqué sans l’unanimité des voix ;
- Le parent décide des investissements et réinvestissements.
La société de droit commun présente pour avantages la planification d’une succession à moindre coût, en permettant de garder le contrôle et la gestion du patrimoine transmis. Cet instrument est simple, discret, souple, et permet une gestion active d’un portefeuille mobilier. Cela étant, il faudra toujours garder à l’esprit que la mise en place d’une société de droit commun implique une dépossession effective ; la disponibilité en tant que telle du patrimoine sera limitée à la charge ou à l’usufruit.
Il est possible pour le parent de prévoir dans les statuts qu’une tierce personne (l’autre parent, un frère/une sœur ou autre personne de confiance) reprendra le mandat de gérant en cas de décès. Généralement, il n’est pas prévu d’usufruit pour cette personne de confiance de sorte qu’elle ne paiera pas non plus de droits de succession.
L’influence du patrimoine de l’enfant sur le soutien reçu de la part des pouvoirs publics
Le dernier point d’attention qui requiert une analyse consiste à déterminer dans quelle mesure le montant des allocations versées à l’enfant serait susceptible de diminuer s’il reçoit certains biens par succession ou donation, avec pour conséquence d’augmenter son patrimoine.
La loi du 27 février 1987 relative aux allocations aux personnes handicapées prévoit la mise en place d’une allocation de remplacement de revenus et d’une allocation d’intégration.
Ces allocations sont accordées lorsque la personne handicapée a atteint l’âge de 21 ans. Pour cette raison lorsque lors de la planification l’enfant n’a pas encore atteint cet âge, il convient d’anticiper quant aux conditions auxquelles il sera soumis pour bénéficier de ces aides.
Lors de la détermination du montant des deux allocations, il est tenu compte des revenus de la personne handicapée et de ceux de la personne avec laquelle elle constitue un ménage, à savoir au sens de la loi « toute cohabitation de deux personnes qui ne sont pas parentes ou alliées au premier, deuxième ou troisième degré ».
Les revenus perçus par la personne handicapée qui justifient une diminution des allocations accordées concernent le revenu imposable qui entre en considération pour l’impôt des personnes physiques.
Il n’est donc pas tenu compte pour l’octroi des allocations des revenus suivants :
- les revenus issus des livrets d’épargne, pour autant qu’ils n’excèdent pas le montant de 1.880 euros pour l’exercice d’imposition 2018 ou pourvu que le précompte mobilier libératoire a été payé.
- les revenus sur lesquels le précompte mobilier libératoire a été payé (revenus des comptes à vue, comptes à terme, bons de caisse, obligations, actions).
- les rentes viagères si celles-ci ne doivent pas être payées par une personne morale ou une entreprise.
Il n’est pas tenu compte du revenu cadastral de la maison d’habitation occupée par la personne handicapée elle-même ou par la personne avec qui elle forme un ménage, à concurrence de 3.000 euros, cette somme étant majorée de 250 euros pour la personne avec qui elle compose un ménage et pour chaque personne à sa charge.
Il s’agit ainsi d’être attentif à la composition du patrimoine transmis, et d’orienter la planification de la succession du parent en conséquence.