le régime de la séparation de biens

Rééquilibrer le patrimoine mariés sous le régime de la séparation de biens : solutions civiles et fiscales 

 

Le régime de séparation de biens est généralement choisi par des époux qui souhaitent protéger leur conjoint d’éventuelles dettes professionnelles ou risque de faillite d’une part, et de l’autre par des époux qui dans un premier temps souhaitent maintenir exclusivement le but affectif du mariage et éviter un forme d’association économique. 

 Les années passent et un déséquilibre patrimonial peut vite s’installer, ce qui justifie alors pour l’époux qui génère plus de revenus de vouloir rétablir un certain équilibre. Cela, a fortiori lorsque c’est précisément grâce à son conjoint qu’il est parvenu à engranger ce patrimoine. 

 Face à ce constat, l’époux contacte un notaire ou un avocat afin de voir de quelle manière ce déséquilibre peut être corrigé. 

Un élément fondamental intervient assez vite, duquel va souvent dépendre la concrétisation du transfert patrimonial : la volonté, en cas de divorce, de pouvoir récupérer ce qui a été transmis. 

 Il s’agira de présenter au travers de trois techniques de planification, de quelle manière cette volonté peut être mise en œuvre avec la sécurité nécessaire. 

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 Ce point de départ pratique sera aussi l’occasion de faire la lumière sur le sort fiscal réservé à certaines clauses particulières telles que la clause de la mortuaire, la clause d’attribution avec charge ou la clause d’attribution intégrale.  

1. Apport à une société limitée 

 Il est aujourd’hui largement admis qu’il est possible au sein d’un régime de séparation de biens avec société limitée, de prévoir l’apport de biens propres sous condition résolutoire de divorce.  

Si cette possibilité a pendant un temps suscité des discussions, elle est aujourd’hui largement acceptée et utilisée dans la pratique. 

 Celle-ci permet à l’époux de faire l’apport de biens meubles ou immeubles à la société limitée et ainsi de rendre son conjoint propriétaire sans qu’il ne doive payer les droits d’enregistrement de 10, 12,5 ou 15 % selon la région, tout en se ménageant la possibilité en cas de divorce de récupérer ces mêmes biens, sans autre taxation que le droit fixe général de 50 euros. 

 Au décès, le survivant ne sera taxé que sur la moitié du bien propre apporté par son conjoint, l’autre moitié lui appartenant en raison de l’apport. 

 Au-delà du simple apport à une société limitée, certaines techniques ont été mises en place afin de déroger au partage par moitié de cette société dans le but de protéger de façon encore plus étendue le conjoint. 

 Afin d’illustrer la problématique relatives à ces clauses, prenons le cas fréquent d’époux mariés en France qui viennent résider en Belgique.  

 En droit français, l’avantage matrimonial n’est pas taxé en droit de succession. A ce titre, la clause d’attribution intégrale de la société limitée au survivant constitue un véritable technique d’optimisation fiscale très fréquemment conseillée par les notaires français. 

En droit belge, la situation est totalement différente et entraine une nécessité en contexte franco-belge d’être vigilant ; bien souvent, la fiscalité belge liée à l’article 5 du Code des droits de succession justifiera une modification des clauses du contrat de mariage. 

Contrairement à la France, en présence d’une clause d’attribution intégrale une moitié du patrimoine commun subira une double taxation ; l’époux survivant sera d’abord taxé, et ensuite ses héritiers. Cette circonstance a justifié le développement de certaines modifications particulières ayant pour but d’éviter in fine l’application de cette disposition fiscale désavantageuse. 

Il faut préciser que ce type de clause n’est pas seulement fréquent en droit français, mais se retrouve dans de très nombreux « vieux » contrats de mariage belges, datant d’une époque où il était particulièrement essentiel de protéger le conjoint survivant. Il est ainsi souvent nécessaire compte-tenu des évolutions en matière fiscale de vérifier son contrat de mariage. 

Remèdes à l’article 5 du Code des droits de succession (2.7.1.0.4 VCF) ? 

  • La clause d’attribution alternative ou optionnelle

Par cette clause, les époux peuvent prévoir plusieurs possibilités pour le survivant concernant l’étendue du patrimoine commun qui lui sera attribué. Ce dernier pourra choisir au moment du décès de son conjoint s’il opte, par exemple, pour tout ou partie du patrimoine en fonction des circonstances non seulement fiscales, mais aussi civiles. 

Dans l’hypothèse d’une clause d’attribution intégrale établie dans un contrat de mariage, une telle modalisation sera nécessaire de sorte d’éviter le sort fiscal désavantageux lié à l’application de l’article 5 du Code des droits de succession (2.7.1.0.4 VCF). 

Peu de notaires français sont au courant de la fiscalité belge et cette circonstance renforce la nécessité pour les nouveaux résidents de nationalité française d’une adaptation de leur contrat de mariage. Il en va de même, comme évoqué ci-dessus, pour les « vieux » contrats de mariage établis en Belgique. 

  • La clause d’attribution avec charge

D’abord, il faut souligner qu’une cette clause présente un avantage civil indéniable. Elle permet d’éviter que le survivant ne dilapide le patrimoine au préjudice des enfants. Ce dernier se verra en effet attribuer la totalité du patrimoine commun à charge pour lui de payer aux enfants une somme correspondant à la moitié de sa valeur nette qui sera exigible à son propre décès. 

Sur le plan fiscal, cette clause est souvent utilisée en combinaison avec la clause optionnelle et permet d’attribuer au conjoint survivant la totalité du patrimoine commun tout en évitant en principe les désavantages relatifs à l’article 5 du Code des droits de succession (2.7.1.0.4 VCF) ; la part recueillie n’excède en effet pas en terme de valeur la moitié du patrimoine commun. 

Cela étant suite à une décision du Service des Décisions Anticipées du 18 juin 2013, il semble préférable, de sorte d’éviter toute taxation, que le paiement de la charge du survivant soit effectué de son vivant. 

  • Clause d’attribution sans condition de survie – clause de la mortuaire

L’application de l’article 5 du Codes des droits de succession intervient en présence d’une clause d’attribution sous condition de survie. Dès lors, en principe, une clause d’attribution de communauté qui serait stipulée sans condition de survie n’entraine pas le paiement de droits de succession prévu à l’article 5 précité. 

Cependant, il faut absolument souligner qu’une telle clause constitue aujourd’hui un abus fiscal au sens de la circulaire anti-abus, à tout le moins lorsqu’elle est réalisée juste avant le décès. Par décret du 30 juin 2015, la Région flamande a quant à elle purement et simplement supprimé la condition de survie du libellé de l’article 2.7.1.0.4 VCF. La Région wallonne a suivi le mouvement et a, par décret du 31 mai 2017, supprimé les termes « sous condition de survie ». Cette modification s’applique de façon rétroactive aux contrats de mariage contractés à partir du 1er juillet 2014, ce qui nécessite de vérifier si une modification de celui-ci n’est pas indiquée. 

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2. La donation entre époux

 La donation entre époux, lorsqu’elle n’est pas prévue par contrat de mariage, est révocable ad nutum (à tout moment) ce qui correspond bien à la volonté de l’époux donateur de récupérer ses biens en cas de divorce. Il suffit ainsi pour ce dernier, en principe, de faire savoir au conjoint qu’il souhaite récupérer l’objet de la donation pour qu’il réintègre son patrimoine. 

Une donation entre époux portant sur des immeubles est généralement délaissée en raison de son coût fiscal, au profit d’un apport à une société limitée. 

 Une donation portant sur des biens meubles présente quant à elle de nombreux avantages : permettre à l’autre de disposer d’un capital pour acquitter les droits de succession ; acquérir un logement en son nom propre ; pouvoir révoquer une donation consentie à ses enfants grâce à l’intermédiaire du conjoint, … Cela, pour un coût fiscal limité aux droits d’enregistrement, ou nul en fonction de la région et des modalités de la donation, si le délai de 3 ans avant le décès est écoulé. 

 L’avantage principal comparé à l’apport en société limitée est de pouvoir avantager immédiatement le conjoint qui pourra par exemple utiliser les sommes pour acheter un bien dont il sera entièrement propriétaire, ce qui n’est pas le cas avec l’apport d’un immeuble à une société limitée. 

 3. La participation aux acquêts 

 Cette clause est inspirée d’un régime matrimonial à part entière prévu par le Code civil français. Le but de cette clause est précisément d’instaurer une certaine solidarité patrimoniale au sein du régime de séparation de biens. 

Pendant la durée du régime, les époux sont séparés de biens ; ce n’est qu’au jour de sa dissolution que l’époux qui a constitué le moins de patrimoine aura droit à une créance. 

Il est possible pour cette clause de prévoir son exclusion en cas de divorce, ou même de modéliser la composition de la masse de participation en fonction de la cause de dissolution du régime matrimonial ; elle sera ainsi étendue de façon large en cas de décès et à l’inverse plus restreinte en cas de divorce. 

Il est généralement prévu une clé de participation correspondant à la totalité de la créance envers le survivant des époux (0/100). 

La clause de compensation est un avantage matrimonial, conclu à titre onéreux. Étant donné que l’article 5 C. succ. (ou article 2.7.1.0.4 CFF) n’est d’application qu’en cas d’attribution d’un patrimoine commun, la clause de compensation, qui porte uniquement sur le patrimoine propre des époux, ne peut pas être imposée sur la base de cet article. Ceci relève d’une différence au niveau fiscal importante en comparaison à l’apport avec clause d’attribution intégrale, qui elle n’échappe pas à l’article 5 du Code des droits de succession. 

Aussi, l’avantage fiscal apparaît au moment du décès : la Cour d’appel d’Anvers dans plusieurs arrêts (Anvers, 19.05.2015 et 16.06.2015) a admis la déduction de cette dette du passif de la succession, y compris lorsque la clause de compensation était optionnelle, à condition que l’option soit exercée avant le dépôt de la déclaration de succession et que la dette soit traitée dans cette déclaration. 

S’agissant d’une créance, cette clause n’affecte pas contrairement à l’apport en société limitée, la propriété des biens. Aussi, il convient de bien discerner ce qui relève d’une planification patrimoniale (l’apport en société limitée) et d’une planification successorale. 

Là où l’apport en société limitée correspond à une volonté immédiate d’avantager son conjoint, la clause de participation aux acquêts constitue plutôt une mécanisme permettant de retirer un avantage fiscal incomparable mais sur le long terme allant jusqu’à transférer la totalité des acquêts sans droits de succession. 

 Dans une affaire tranchée le 24 avril 2012 par la Cour d’appel d’Anvers, des époux sans descendance avaient modifié leur contrat de mariage en vue d’y insérer une clause 0/100 selon laquelle la créance de participation porterait sur la totalité des acquêts du conjoint survivant. 

Un an plus tard, l’épouse décède et le mari mentionne au passif de la déclaration de succession une créance de participation d’un montant de 3.228.433, 21 euros, entrainant une succession déficitaire à concurrence de 5.119,20 euros. 

Ce dernier n’a dû payer aucun droits de succession, la Cour confirmant que la dette n’était pas soumise à l’article 33 du Code des droits de succession, lequel rejette en principe la déductibilité des dettes successorales contractées par un défunt à l’égard de ses ayants droits. 

D’un point de vue économique cette clause a le même effet qu’une attribution intégrale de communauté d’acquêts, mais avec une exonération fiscale totale au premier décès. 

Dans une perspective du second décès, il est alors possible de réaliser des transferts aux taux réduits aux enfants, avec pour résultat d’éviter la problématique de double taxation rencontrée dans le cas d’une clause d’attribution intégrale. 

La seule limite civile étant celle fixée aux articles 1464, alinéa 2 et 1465 du Code civil qui selon une doctrine majoritaire sont aussi applicables à la clause de participation aux acquêts. 

Ces dispositions ont pour conséquence, en cas de transfert trop important suite à l’avantage matrimonial, de pouvoir justifier une action en réduction de la part des enfants communs ou non communs. Il est dès lors conseillé d’établir une analyse complète de la situation afin de sécuriser l’opération non seulement d’un point de vue civil mais aussi fiscal. 

Le fait de consevrer un équilibre entre les patrimoines ne constitue qu’un des très nombreux aspects de la mise en place d’un contrat de mariage (ou d’une modification). Ce dernier nécessite une réflexion approfondie et une analyse sur mesure à même d’apporter la sécurité souhaitée.